Survivre au Salon du Livre de Genève quand on ne s'appelle pas Joël Dicker.
Quatre conseils de haut niveau et une comparaison palpitante entre calamars géants et sandwiches au jambon.
Nous sommes en 2019. Je m'apprête à lancer mon nouveau roman.
Avec mon éditrice, on réfléchit à une librairie pour y organiser le vernissage. On en sélectionne une qui coche tous nos critères : bien située, dans des locaux très agréables, avec une clientèle fidèle et toujours prête à découvrir de nouveaux auteurs.
Bref, l'endroit idéal.
Mon éditrice envoie donc un premier mail d'approche, auquel la gentille-dame-libraire répond aussitôt par l'affirmative, le ton plutôt enthousiaste. Elle est toute disposée à nous accueillir le jour J (soit six mois plus tard). Elle reviendra vers nous prochainement, promet-elle, pour convenir d'une date et discuter les questions logistiques.
Joie ! pensons-nous naïvement.
Ensuite, le temps passe. Aucune nouvelle de la gentille-dame-libraire. Les vacances d'été se terminent, la rentrée littéraire arrive… Le mail de relance de l'éditrice est resté sans réponse, mais elle doit être sous l'eau, forcément. Le livre sort en novembre, il nous reste un peu de temps.
Puis septembre touche à sa fin. Nouvelle relance, nouveau silence.
Entretemps, mon éditrice a essayé de l'appeler une fois ou deux, mais elle est tombée chaque fois sur des employées qui n'étaient pas au courant, qui ont promis de faire passer le mot…
Apparemment, la communication n'est pas le fort de la gentille-dame-libraire, à l'interne comme à l'externe.
Enfin, miracle, un beau matin d'octobre (soit moins d'un mois avant la sortie), la gentille-dame-libraire répond au téléphone.
L'éditrice (d'un tempérament un peu sanguin, mais s'efforçant de conserver son calme pour le bon déroulement de la négociation) lui rappelle qu'elle s'était engagée (certes, il y a longtemps) à nous accueillir, qu'elle devait nous donner une date, que plusieurs mails et coups de fils sont restés sans réponse…
Et là, la gentille-dame-libraire, qui n'est plus aussi gentille qu'avant, la coupe avec hauteur :
"Oui oui, j'ai bien reçu tous vos mails et vos messages
(elle n'emploie pas les mots "innombrables" ni "indésirables", mais l'idée y est)
… mais j'étais trop occupée pour vous répondre. Figurez-vous que je travaille, Madame !
(Elle l'a dit, je n'invente rien, avant de décocher sa dernière flèche, sans sommation aucune :)
… Et puis, quoi, c'est Catherine Rolland, pas Joël Dicker !"
Je ne vous surprendrai sans doute pas en vous disant que le vernissage du roman n'a pas eu lieu dans la librairie en question. Mon éditrice n'a pas décoléré pendant environ… eh bien, à y réfléchir et si j'en crois la façon dont elle en parle, encore aujourd'hui, elle n'a pas décoléré DU TOUT.
(tempérament sanguin, je vous dis)
Pour l'anecdote, deux ou trois ans après (suite à un tumultueux débat intérieur), je suis retournée voir la libraire pour lui présenter "Emma Paddington". Je n'avais pas mis un pied dans la librairie qu'elle m'avait tapé la bise et offert un café en mode "meilleures amies".
Est-ce qu'elle se souvenait du drame ?
Franchement, impossible à dire. Bien sûr, ni elle ni moi n'avons jamais abordé le sujet. Recouvrant son statut de gentille-dame-libraire, elle est à présent une de mes plus fidèles partenaires et vend chaque année des dizaines d'exemplaires de mes bouquins…
Morale de l'histoire : l'humilité est une qualité précieuse quand on se lance dans la profession.
Morale subsidiaire : ce qui suit s'adresse à vous, uniquement si vous ne vous appelez pas Joël Dicker.
(Joël, si tu tombes là-dessus : je plaisante, lis quand même et n'hésite pas à t'abonner, merci d'avance !)
Si vous vous intéressez un tant soit peu à l'actualité littéraire francophone, ça ne vous aura pas échappé,
Le salon du livre de Genève, c'est la semaine prochaine (19 au 23 mars) à Palexpo.
J'y serai, bien sûr (du jeudi au dimanche, toutes les précisions ICI)
Comme j'espère bien que vous aussi, je me suis dit que quelques conseils pour survivre à cet événement aussi grandiose qu'épuisant ne feraient pas de mal.
(la question de fond "pourquoi nous infligeons-nous ce genre de choses" fera l'objet d'une prochaine newsletter, c'est promis)
Prêts ? C’est parti.
CONSEIL #1. Faites preuve d'un sens de l'orientation à toute épreuve
Palexpo, c'est grand. Très grand. 250 stands, 600 auteurs se partagent les 15500 m2 de la Halle numéro 1.
Comme ça ne parle pas beaucoup à l'imagination, 15500 m2, j'ai cherché pour vous des comparaisons pour illustrer le propos (la rédaction ne recule devant aucun sacrifice pour satisfaire ses lecteurs, vous en conviendrez)
Ainsi, vous serez sans doute contents d’apprendre que 15500 m2, c'est :
2 terrains de football
28 patinoires (en Suisse, on est plus patins à glace que chaussures à crampons, désolée… Et puis, “Venger Vicky”, quoi…)
15500 m2, c'est aussi…
en livres : 1,5 millions de romans (format poche) posés côte à côte… soit BEAUCOUP de lecture
en éléphants : 1500 éléphants alignés côte à côte (d'Afrique, les éléphants. Pour les éléphants d'Asie, je n'ai pas les chiffres)
en calamars géants (tout vient à point à qui sait attendre) : 2000 calamars géants (rien n'empêche de mixer en alternant les éléphants et les calamars géants, quoique ça représente un certain défi logistique)
en fourmis : 3,1 milliards de fourmis (de quoi faire frémir même Bernard Werber)
en sandwiches au jambon : un peu plus d'un million de sandwiches au jambon (ça marche sans doute aussi avec le thon)
Maintenant que vous voyez beaucoup mieux à quel point Palexpo est grand (ne me remerciez pas, c’est cadeau), vous comprenez mieux pourquoi
Il serait bon, dès votre arrivée, de vous munir d'un plan pour
trouver votre stand
repérer la buvette
pouvoir indiquer sans hésiter les toilettes aux lecteurs qui vous le demanderont immanquablement
(Pensez à faire bonne figure et tendez-leur un flyer, on ne sait jamais, une fois leur vessie vide, ils reviendront peut-être s'intéresser à votre bouquin)
CONSEIL #2. Soyez humble
Il en faudra, de l'humilité, pour répondre avec le même sourire stoïque à toutes les personnes égarées (cf point numéro 1) qui viendront vous demander où se trouve le stand de Joël Dicker.
(Joël, si tu lis ceci…)
Préparez-vous également à toutes sortes de mésaventures assez déstabilisantes quand on ne les a pas anticipées, comme celle que je vous livre ci-après
(vécue à plusieurs reprises, soit je suis victime d'une malédiction, soit j'ai une jumelle cachée qui fait le même métier) :
Un cri s'élève dans le brouhaha.
"Vous êtes là !"
“Euh, qui ça, moi ?”
Oui, apparemment, c'est bien de vous qu'il s'agit. Si émue qu'elle en a les larmes aux yeux, une lectrice fend la foule pour gagner votre stand, légèrement euphorique.
Durant les 5 minutes suivantes, elle se répand en compliments, vous explique sur tous les tons à quel point elle a a-do-ré votre dernier livre.
Moment de grâce dont rêve tout auteur, évidemment.
Une fan, une vraie !
Ravie, vous dégainez votre plus beau sourire (modeste, autant que faire se peut) et attendez que le flot de ses félicitations extasiées se tarisse pour lui parler de votre dernier roman/l'inscrire à votre Newsletter/lui proposer de faire un selfie/les 3 à la fois.
Pensez à ne pas flancher quand arrive le premier indice discordant
"Ah, votre description de la muraille de Chine… Somptueux !"
Sauf que toute votre histoire se déroule à Pompaples, dans le canton de Vaud.
puis les suivants :
"Ah, l'attaque du martien cannibale au moment où ils essaient de faire redécoller la navette"
Sauf que votre bouquin est un drame intimiste sur une mère célibataire qui élève seule un adolescent à problèmes.
"Ah, cette galerie de personnages, ces dialogues hilarants, et le dindon, ah, le dindon, il est impayable ! Il y a longtemps que je n'avais pas autant ri !"
Sauf que votre roman est un thriller sanglant où tout le monde ou presque casse sa pipe à la fin (et où, de fait, il n'y a aucun trace de dindon).
La conclusion est limpide : votre lectrice fan absolue se trompe d'auteure !
À ce stade, deux options s'offrent à vous :
la détromper, et vous exposer toutes les deux à un moment très embarrassant.
OU
hocher la tête sans vous départir de votre sourire (toujours modeste, avec plus de raisons) et tenter, en fin de conversation, de lui refiler quand même un de vos bouquins.
Après tout, qui ne tente rien, n'a rien.
Par ailleurs, il est toujours bon de faire sortir les amateurs de robots cannibales ou de dindons de leur zone de confort.
CONSEIL #3. Soyez capable d'effectuer plusieurs tâches à la fois
Hypothèse A : Vous êtes Joël Dicker (probabilité : faible)
(pour rappel, on a dit que Joël était autorisé à lire cet article en dépit de son titre).
Dans ce cas, l'organisation du salon aura prévu une petite équipe consacrée à votre gloire bien-être et au confort de vos lecteurs :
chauffeur privé pour vous amener de votre appartement à Palexpo,
cordons de sécurité pour délimiter la looooooongue file d'attente des visiteurs assez
fouscourageux pour patienter les 3 heures nécessaires pour obtenir un autographe,staff dédié pour vous apporter café, chocolats et compliments admiratifs dès que sollicités,
vigiles pour évacuer les fans en cas de débordement (tenter de parler à l'auteur plus des 2,6 secondes nécessaires à la dédicace de son nom sur la première page du bouquin étant considéré comme un débordement),
gestion de la caisse par deux à trois libraires ultra-concentrés (il faut dire que vous représentez à vous tout seul environ 48,2% des bénéfices totaux des cinq jours de salon).
Hypothèse B : Vous n'êtes pas Joël Dicker (probabilité : 1 chance sur 8 210 812 583, soit pas beaucoup)
Vous devrez donc effectuer un certain nombre de tâches simultanément :
Pitcher votre livre (en ajustant la longueur selon l'intérêt de votre auditeur, sans tout dévoiler mais en donnant envie aussi, bref, entraînez-vous)
Ecouter les visiteurs vous parler d'eux (et, très souvent, du livre qu'ils ont écrit ou qu'ils voudraient écrire). Trouver dans ce cas la juste manière de rebondir, mais pas trop, au risque de les voir s'installer à votre stand sans limitation de durée, tels un chewing-gum impossible à décoller sous un bureau d'écolier.
Raisonner votre voisine de table dépressive qui, n'ayant pas vendu un seul livre de la matinée, commence à envisager sérieusement d'aller offrir un exemplaire à Joël Dicker en échange d'une hypothétique visibilité (entreprise dont une once de discernement permettra de comprendre qu'elle est vouée à l'échec)
Trinquer avec vos copains de stand qui, n'étant pas Joël Dicker (si on en croit la loi des probabilités), se sont faits à l'idée de ne rien vendre MAIS ont apporté de quoi noyer leur déception dans des boissons à base de malt ou d'anis (les personnes concernées se reconnaîtront)
Demander (et surtout, RETENIR) le prénom des lecteurs qui vous auront fait la joie de tenter l'aventure de vous lire
Écrire une dédicace drôle, personnalisée et sans faute d'orthographe, tout en répondant à leurs questions de fond (je vous mets au défi de raconter où vous allez chercher votre inspiration – la question numéro 1 toute catégorie confondue – tout en leur souhaitant une bonne lecture aux côtés d'"Aurélien, le plus catastrophique des employés de l'Au-Delà")
Indiquer avec stoïcisme aux gens qui vous sollicitent la direction des toilettes, la sortie et le stand de Joël Dicker (cf point numéro 1)
Gérer la frustration de vous apercevoir, deux heures après le début du salon, que vous avez confondu vos caisses de stocks, et que vous disposez, pour les 4 jours à venir, de 53 tomes 2 de votre saga, contre 5 tomes 1
Faire comprendre, avec autant de tact que possible, à la tante Germaine ou à votre pote Thibault que, si contents qu'ils soient d'être passés vous dire à quel point ils sont fiers de vous, vous n'êtes pas forcément là pour les écouter vous raconter leur dernier séjour dans le Valais, ni pour commenter avec eux la couverture du dernier livre de Joël Dicker (quoique ce dernier point est particulièrement tentant, j'en conviens)
Gérer votre caisse (pour les auteurs indépendants, bien sûr, les autres, même s'ils ne s'appellent pas Joël Dicker, bénéficient de l'appui logistique précieux des libraires et des bénévoles – que, sérieusement pour une fois, j'en profite pour saluer et remercier au passage pour leur dévouement) sans vous tromper dans la monnaie, sans mélanger les prix de vos bouquins, sans oublier tout bonnement de faire payer et sans écraser sous un coup de talon rageur votre boîtier sum-up qui se connecte avec obstination au téléphone portable de votre voisin, même quand ce dernier l'éteint.
CONSEIL #4. Amusez-vous ! (Bien que cela semble quelque peu hors d’atteinte à la lecture de ce qui précède)
Au risque d'enfoncer des portes ouvertes, en dehors de Joël
(Joël, maintenant qu'on est plus familiers tous les deux, ça ne t'embête pas que je t'appelle Joël ?)
la majorité des auteurs ne vendent pas beaucoup pendant le salon du livre.
Il y a BEAUCOUP de visiteurs, certes, mais BEAUCOUP d'auteurs aussi (cf plus haut, je vous fais grâce du calcul de densité d'auteurs par mètre carré de surface en calamars géants).
Il faut voir ça comme une grande fête du livre, un endroit où partager ensemble notre passion de la littérature, un lieu où on retrouve les copains, où on fait de nouvelles connaissances, où on vend quelques livres, certes, mais où, en général, on en achète encore plus !
Et c'est ok, vraiment !
Le salon du livre de Genève est un événement vraiment chouette, côté auteur comme côté lecteur, alors si vous en avez l'occasion, foncez et n'oubliez pas de passer me faire un coucou.
Pour me trouver, c'est facile : demandez à n'importe qui où se trouve le stand de Joël Dicker : je ne suis pas là-bas !
… Mais, d'après ce que j'ai compris, en ce qui concerne le stand du GAHeLiG, en tout cas, où je me tiendrai la majorité du temps, c'est plus ou moins en face !
Alors, on s'y voit ?
Allez, parce que c’est vous, je vous marque le détail de mes horaires ici :
Jeudi 20
Stand du GAHeLiG : 10h – 13h30
Editions BSN Press : 13h30 – 14h30
Interview sur le stand de la RTS 14h45 – 15h15
Stand du GAHeLiG : 15h30 – 18h
Vendredi 21
Stand du GAHeLiG : 10h – 11h30
Editions Slatkine : 14h30 – 15h45
Stand du GAHeLiG : 16h – 18h45
Samedi 22
Stand du GAHeLiG : 13h – 14h30
Polar Suisse : 15h30 – 17h30
Stand du GAHeLiG : 17h30 – 20h
Dimanche 23
Stand du GAHeLiG : 10h – 11h30
Stand du GAHeLiG : 13h – 14h30
Polar Suisse : 15h30 – 17h
Si je ne suis pas sur un de mes stands, c’est que je hanterai les allées de Palexpo avec mon complice Cyril Vallée, pour quelques interviews-surprise pour notre podcast DUO DE PLUMES
(parce que oui, on a eu une accréditation presse en tant que podcasteurs, et ça, c’est quand même la classe à Dallas)
((J’entends d’ici la réflexion consternée de l’enfant numéro 2, quand il va lire que j’ai écrit dans ma Newsletter “La classe à Dallas”. Pardon, chéri, maman ne le fera plus. Enfin peut-être.))
En bref avant de se quitter, si vous n'êtes pas à Genève,
Trois autres occasions de me voir en mars :
Le samedi 15 mars, 16h-18h
(oui, aujourd'hui, je sais, je suis la reine de l'anticipation)
au Café du Prélaz à Lausanne (avenue de Morges 141), pour le vernissage du recueil collectif
"Sous nos monts hallucinés"
Nouvelles inspirées de l’univers de Lovecraft revu à la sauce helvète (oui, ça promet) auquel j'ai participé avec 13 autres auteurs suisses romands.
Le samedi 29 mars, à partir de 14h
A la bibliothèque "Le cheval savant" à Cressier FR, dont j'ai l'immense honneur d'être la marraine !
Rencontres, dédicaces, animations…
Le dimanche 30 mars, 9h-16h
au Marché des artisans et vide-grenier de Lully FR
Tous les détails sur :
Ha ! J'ai bien rigolé, merci !
Une newsletter au top, j’ai tellement ri 🤣 et je me réjouis de squatter le stand avec toi même si tu ne t’appelles pas Joël 😉